« Nous devons vivre avec l’incertitude » – Edgar Morin
CNRS – Le journal – 6 avril 2020

En ces moments incertains, sources d’anxiété, de crainte et de peur pour ceux qui nous sont chers, faire de la prospective peut paraître futile et désuet.
Comment pouvons-nous réfléchir à ce que des sociétés et des économies seront demain, alors qu’il est difficile de se projeter au-delà de l’urgence du moment présent ? Comment faire cet exercice alors que beaucoup de certitudes ont volé en éclat ? Comment tenter de prédire un futur alors que le présent n’a pas pu être anticipé ?
Quelles approches, en tant qu’analyste prospectiviste sur des marchés technologiques à très forte variabilité (ceux du numérique), pouvons-nous adopter pour néanmoins tenter de donner quelques lignes directrices, en toute humilité, car rien ne saurait être écrit dans le marbre ?
En voici quelques pistes. Peut-être en aurez-vous d’autres à ajouter. N’hésitez pas.

1) Écouter les experts « silencieux »
Le silence est parfois source de vérité. Une attention et une écoute encore plus fortes sont à porter aux experts qui ne parlent pas ou peu de certains sujets qui sont pourtant dans leur périmètre de connaissance et de savoir, qui ne réagissent pas ou peu à certaines assertions ou encore qui réservent leurs propos sur des sujets cernés. Chaque mot qu’ils ou elles avancent peut avoir une résonance plus forte qu’à l’habitude. Sachons les écouter et lire entre leurs lignes.

2) Aller au-delà des perceptions du passé
Prévoir consiste à projeter dans l’avenir ce qu’on a perçu dans le passé.” Henri Bergson. Regarder le passé, l’analyser et prendre du recul. Analyser les perceptions que nous en avons et les remettre en regard de celles du moment présent. Sur des sujets technologiques sans équivalents dans le passé, ce « travail d’historien » en quelque sorte, couplé à des perceptions (qui peuvent être biaisées), ne peut cependant s’arrêter à la seule observation. Nous devons prendre des risques en imaginant ces tendances futures sur les bases aussi de perceptions et de connaissances présentes. 

3) Surveiller les signaux faibles  
Les signaux faibles sont complexes à identifier. Ils sont souvent diffus, non ou peu formalisés, noyés au milieu d’une myriade d’informations et de données. Ils sont le plus souvent en dehors de nos cercles directs. Pour pouvoir les identifier, il est nécessaire de sortir de ses schémas de pensée classique, de sa zone de confort, d’aller sur des chemins non conventionnels. Ouvrons aussi nos réseaux, allons sur des terrains connexes aux marchés que nous analysons. Suivons les liens qu’ils tissent indirectement avec d’autres. Pratiquons le « Thinking outside the box ».

4) S’assurer de l’origine des sources
Encore plus. Et tout particulièrement en cette période d’incertitudes qui favorise les excès de tout bord, les « fake news » et le détournement d’informations. Disposer d’un réseau d’expert.es reconnu.es aide certainement à faire cet exercice. Au-delà de l’origine de la source, ce sont aussi les missions et les liens qu’il faut valider, liens avec d’autres acteurs qui pourraient favoriser une orientation spécifique, missions qui pourraient être en conflit avec les dires. Confrontons aussi les sources entre elles.

5) Décupler l’esprit critique
Face à la surcharge informationnelle contradictoire et à la multiplication de sources douteuses, la prise de recul est d’autant plus nécessaire. Nous ne pouvons que soutenir la position prise par Aurélie Jean, Docteur en Sciences, de « ne pas confiner notre esprit critique« . Posons-nous pour prendre ce recul nécessaire avant même de s’engager dans toute analyse. C’est d’autant plus vrai en prospective et sur des domaines à très forte évolution, comme le sont les technologies du numérique. Questionnons-nous sur les liens entre les choses, sur leurs utilités – cette technologie est-elle éphémère, utile, futile, en avance, de rupture… ? – et aussi sur les effets induits possibles qui pourraient modifier la donne d’un marché. Essayons du mieux possible de dérouler la pelote pour en comprendre les mécanismes, les apports et les incidences.

En tout temps incertain, faire de la veille et de la prospective de marché reste un exercice qui demande beaucoup d’humilité et de bienveillance aussi de la part de ceux et de celles qui en utilisent les résultats pour se conforter, se projeter, décider de leurs prochaines actions. C’est un exercice qui tente de se rapprocher le plus prêt possible, avec ses failles et ses forces, d’un prochain futur qui pourrait être.

Emmanuelle Olivié-Paul
Directrice Associée MARKESS by exaegis 

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